cette page est une copie du site Espace Lacan, http://espace.freud.pagesperso-orange.fr/topos/psycha/psysem/hyppoli3.htm via le cache de Google, :
http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:M5qLm1NpjW4J:espace.freud.pagesperso-orange.fr/topos/psycha/psysem/hyppoli3.htm&hl=fr&gl=fr&strip=1&vwsrc=0,
Espaces Lacan
in Ecrits, Seuil, Paris, 1966
Quelques pages plus haut,
c'est-à-dire juste
après avoir déterminé la situation historique de
ce
procès dans la biographie de son sujet, Freud a conclu en le
distinguant
expressément du refoulement en ces termes Eine
Verdrängung
ist etwas anderes a/s eine Verwerfung8.
Ce qui, dans la traduction française, nous est
présenté
en ces termes : "Un refoulement est autre chose qu'un jugement qui
rejette
et choisit." Je vous laisse à juger quelle sorte de
maléfice,
il faut admettre dans le sort fait aux textes de Freud en
français,
si l'on se refuse à croire que les traducteurs se soient
donné
le mot pour les rendre incompréhensibles, et je ne parle pas de
ce qu'ajoute à cet effet l'extinction complète de la
vivacité
de son style.
Le procès dont il s'agit ici sous le nom
de Verwerfung et dont je ne sache pas qu'il ait jamais fait
l'objet
d'une remarque un peu consistante dans la littérature
analytique,
se situe très précisément dans l'un des temps que
M. Hyppolite vient de dégager à votre adresse dans la
dialectique
de la Verneinung, c'est exactement ce qui s'oppose à la
Bejahung
primaire
et constitue comme tel ce qui est expulsé. Comme vous allez en
voir
la preuve à un signe dont l'évidence vous surprendra. Car
c'est ici que nous nous retrouvons au point où je vous ai
laissé
la dernière fois, et qu'il va nous être beaucoup plus
facile
de franchir après ce que nous venons d'apprendre par le discours
de M. Hyppolite.
J'irai donc plus avant, sans que les plus
férus
de l'idée de développement, s'il en est encore ici,
puissent
m'objecter la date tardive du phénomène, puisque M.
Hyppolite
vous a admirablement montré que c'est mythiquement que Freud le
décrit comme primordial.
La Verwerfung donc a coupé court
à
toute manifestation de l'ordre symbolique, c'est-à-dire à
la Bejahung que Freud pose comme le procès primaire
où
le jugement attributif prend sa racine, et qui n'est rien d'autre que
la
condition primordiale pour que du réel quelque chose vienne
à
s'offrir à la révélation de l'être, ou, pour
employer le langage de Heidegger, soit laissé-être. Car
c'est
bien à ce point reculé que Freud nous porte, puisque ce
n'est
que par après, que quoi que ce soit pourra y être
retrouvé
comme étant.
Telle est l'affirmation inaugurale, qui ne peut
plus être renouvelée sinon à travers les formes
voilées
de la parole inconsciente, car c'est seulement par la négation
de
la négation que le discours humain permet d'y revenir.
Mais de ce qui n'est pas laissé être
dans cette Bejahung qu'advient-il donc ? Freud nous l'a dit
d'abord,
ce que le sujet a ainsi retranché (verworfen), disions-nous,
de l'ouverture à l'être, ne se retrouvera pas dans son
histoire,
si l'on désigne par ce nom le lieu où le refoulé
vient
à réapparaître. Car, je vous prie de remarquer
combien
la formule est frappante d'être sans la moindre
ambiguïté,
le sujet n'en voudra "rien savoir au sens du refoulement". Car
pour
qu'il eût en effet à en connaître en ce sens, il
faudrait
que cela fût venu de quelque façon au jour de la
symbolisation
primordiale. Mais encore une fois qu'en advient-il ? Ce qu'il en
advient,
vous pouvez le voir : ce qui n'est pas venu au jour du symbolique,
apparaît
dans le réel.
Car c'est ainsi qu'il faut comprendre l'Einbeziehung
ins Ich, l'introduction dans le sujet, et l'Ausstossung aus
dem
Ich, l'expulsion hors du sujet. C'est cette dernière qui
constitue
le réel en tant qu'il est le domaine de ce qui subsiste hors de
la symbolisation. Et c'est pourquoi la castration ici retranchée
par le sujet des limites mêmes du possible, mais aussi bien par
là
soustraite aux possibilités de la parole, va apparaître
dans
le réel, erratiquement, c'est-à-dire dans des relations
de
résistance sans transfert, - nous dirions pour reprendre la
métaphore
dont nous usions tout à l'heure : comme une ponctuation sans
texte.
Car le réel n'attend pas, et
nommément
pas le sujet, puisqu'il n'attend rien de la parole. Mais il est
là,
son existence, bruit où l'on peut tout entendre, et prêt
à
submerger de ses éclats ce que le "principe de
réalité"
y construit sous le nom de monde extérieur. Car si le jugement
d'existence
fonctionne bien comme nous l'avons entendu dans le mythe freudien,
c'est
bien aux dépens d'un monde sur lequel la ruse de la raison a
deux
fois prélevé sa part.
Pas d'autre valeur à donner en effet
à
la réitération du partage du dehors et du dedans
qu'articule
la phrase de Freud : Es ist, wie man sieht, wieder eine Frage des
Aussen
und Innen. "Il s'agit, comme on le voit, à nouveau
d'une
question du dehors et du dedans." A quel moment, en effet, cette phrase
vient-elle ? - Il y a eu d'abord l'expulsion primaire,
c'est-à-dire
le réel comme extérieur au sujet. Puis à
l'intérieur
de la représentation (VorstelIung), constituée
par
la reproduction (imaginaire) de la perception première, la
discrimination
de la réalité comme de ce qui de l'objet de cette
perception
première n'est pas seulement posé comme existant par le
sujet,
mais peut être retrouvé (wiedergefunden) à
la
place où il peut s'en saisir. C'est en cela seulement que
l'opération,
toute déclenchée qu'elle soit par le principe du plaisir,
échappe à sa maîtrise. Mais dans cette
réalité
que le sujet doit composer selon la gamme bien tempérée
de
ses objets, le réel, en tant que retranché de la
symbolisation
primordiale, y est déjà. Nous pourrions
même
dire qu'il cause tout seul. Et le sujet peut l'en voir émerger
sous
la forme d'une chose qui est loin d'être un objet qui le
satisfasse,
et qui n'intéresse que de la façon la plus incongrue son
intentionnalité présente : c'est ici l'hallucination en
tant
qu'elle se différencie radicalement du phénomène
interprétatif.
Comme en voici de la plume de Freud le témoignage transcrit sous
la dictée du sujet.
Le sujet lui raconte en effet que "quand il avait
cinq ans, il jouait dans le jardin à côté de sa
bonne,
et faisait des entailles dans l'écorce d'un de ces noyers (dont
on sait le rôle dans son rêve). Soudain, il remarqua, avec
une terreur impossible à exprimer, qu'il s'était
sectionné
le petit doigt de la main (droite ou gauche ? Il ne le sait pas) et que
ce doigt ne tenait plus que par la peau. Il n'éprouvait aucune
douleur,
mais une grande anxiété. Il n'avait pas le cœur de dire
quoi
que ce soit à sa bonne qui n'était qu'à quelques
pas
de lui ; il se laissa tomber sur un banc et demeura ainsi, incapable de
jeter un regard de plus sur son doigt. A la fin, il se calma, regarda
bien
son doigt, et - voyez-vous ça ! - il était tout à
fait indemne".
Laissons à Freud le soin de nous confirmer
avec son scrupule habituel par toutes les résonances
thématiques
et les corrélations biographiques qu'il extrait du sujet par la
voie de l'association, toute la richesse symbolique du scénario
halluciné. Mais ne nous laissons pas nous-mêmes fasciner
par
elle.
Les corrélations du phénomène
nous en apprendront plus pour ce qui nous retient que le récit
qui
le soumet aux conditions de transmissibilité du discours. Que
son
contenu s'y plie si aisément, qu'il aille jusqu'à se
confondre
avec les thèmes du mythe ou de la poésie, pose certes une
question, qui se formule tout de suite, mais qui peut-être exige
d'être reposée dans un temps second, ne serait-ce que pour
ce qu'au départ nous savons que la solution simple n'est pas ici
suffisante.
Un fait en effet se dégage du récit
de l'épisode, qui n'est nullement nécessaire à sa
compréhension, bien au contraire, c'est l'impossibilité
où
le sujet a été d'en parler sur le moment. Il y a
là,
remarquons-le, une interversion de la difficulté par rapport au
cas d'oubli du nom que nous avons analysé tout à l'heure.
Là, le sujet a perdu la disposition du signifiant, ici il
s'arrête
devant l'étrangeté du signifié. Et ceci au point
de
ne pouvoir communiquer le sentiment qu'il en éprouve,
fût-ce
sous la forme d'un appel, alors qu'il a à sa portée la
personne
la plus appropriée à l'entendre : sa bien-aimée
Nania.
Bien loin de là, si vous me permettez la
familiarité du terme argotique pour sa valeur expressive, il ne
moufte pas ; ce qu'il décrit pour son attitude suggère
l'idée
que ce n'est pas seulement dans une assiette d'immobilité qu'il
s'enfonce, mais dans une sorte d'entonnoir temporel d'où il
revient
sans avoir pu compter les tours de sa descente et de sa
remontée,
et sans que son retour à la surface du temps commun ait
répondu
en rien à son effort.
Le trait de mutisme atterré se retrouve
remarquablement
dans un autre cas, presque calqué sur celui-ci, et
rapporté
par Freud d'un correspondant occasionnel9.
Le trait de l'abîme temporel ne va pas
laisser
de montrer des corrélations significatives.
Nous allons les trouver en effet dans les formes
actuelles où la remémoration se produit. Vous savez que
le
sujet, au moment d'entreprendre son récit, a d'abord cru qu'il
l'avait
déjà raconté, et que cet aspect du
phénomène
a paru à Freud mériter d'être
considéré
à part pour faite l'objet d'un des écrits qui constituent
cette année notre programme10. La
façon
même dont Freud vient à expliquer cette illusion du
souvenir,
à savoir par le fait que le sujet avait raconté à
plusieurs reprises l'épisode de l'achat fait par un oncle
à
sa requête d'un couteau de poche, cependant que sa soeur obtenait
un livre, ne nous retiendra que pour ce qu'elle implique de la fonction
du souvenir-écran.
Un autre aspect du mouvement de la
remémoration
nous paraît converger vers l'idée que nous allons
émettre.
C'est la correction que le sujet y apporte secondairement, à
savoir
que le noyer dont il s'agit dans le récit et qui ne nous est pas
moins familier qu'à lui quand il évoque sa
présence
dans le rêve d'angoisse, qui est en quelque sotte la pièce
maîtresse du matériel de ce cas, y est sans doute
apporté
d'ailleurs, à savoir d'un autre souvenir d'hallucination
où
c'est de l'arbre lui-même qu'il fait sourdre du sang.
Cet ensemble ne nous indique-t-il pas dans un
caractère
en quelque sorte extra-temporel de la remémoration, quelque
chose
comme le cachet d'origine de ce qui est remémoré ?
Et ne trouvons-nous pas dans ce caractère
quelque chose non d'identique, mais que nous pourrions dire
complémentaire
de ce qui se produit dans le fameux sentiment du déjà vu
qui, depuis qu'il constitue la croix des psychologues, n'est pas pour
autant
éclairé malgré le nombre des explications qu'il a
reçues, et dont ce n'est ni par hasard ni par goût
d'érudition
que Freud les rappelle dans l'article dont nous parlons pour l'instant.
On pourrait dire que le sentiment du
déjà
vu vient à la rencontre de l'hallucination erratique, que c'est
l'écho imaginaire qui surgit en réponse à un point
de la réalité qui appartient à la limite où
il a été retranché du symbolique.
Ceci veut dire que le sentiment
d'irréalité
est exactement le même phénomène que le sentiment
de
réalité, si l'on désigne sous ce terme le
"déclic"
qui signale la résurgence, rare à obtenir, d'un souvenir
oublié. Ce qui fait que le second est ressenti comme tel, c'est
qu'il se produit à l'intérieur du texte symbolique qui
constitue
le registre de la remémoration, alors que le premier
répond
aux formes immémoriales qui apparaissent sur le palimpseste de
l'imaginaire,
quand le texte s'interrompant laisse à nu le support de la
réminiscence.
Il n'est besoin pour le comprendre dans la
théorie
freudienne que d'entendre celle-ci jusqu'au bout, car si toute
représentation
n'y vaut que pour ce qu'elle reproduit de la perception
première,
cette récurrence ne peut s'arrêter à celle-ci sinon
à titre mythique. Cette remarque renvoyait déjà
Platon
à l'idée éternelle ; elle préside de nos
jours
à la renaissance de l'archétype. Pour nous, nous nous
contenterons
de remarquer que ce n'est que par les articulations symboliques qui
l'enchevêtrent
à tout un monde que la perception prend son caractère de
réalité.
Mais le sujet n'éprouvera pas un sentiment
moins convaincant à se heurter au symbole qu'il a à
l'origine
retranché de sa Bejahung. Car ce symbole ne rentre pas
pour
autant dans l'imaginaire. Il constitue, nous dit Freud, ce qui
proprement
n'existe pas ; et c'est comme tel qu'il ex-siste, car rien n'existe que
sur un fond supposé d'absence. Rien n'existe qu'en tant qu'il
n'existe
pas.
Aussi bien est-ce ce qui apparaît dans notre
exemple. Le contenu de l'hallucination, si massivement symbolique, y
doit
son apparition dans le réel à ce qu'il n'existe pas pour
le sujet. Tout indique en effet que celui-ci reste fixé dans son
inconscient à une position féminine imaginaire qui
ôte
tout sens à sa mutilation hallucinatoire.
Dans l'ordre symbolique, les vides sont aussi
signifiants
que les pleins ; il semble bien, à entendre Freud aujourd'hui,
que
ce soit la béance d'un vide qui constitue le premier pas de tout
son mouvement dialectique.
C'est bien ce qui explique, semble-t-il,
l'insistance
que met le schizophrène à réitérer ce pas.
En vain, puisque pour lui tout le symbolique est réel.
Bien différent en cela du paranoïaque
dont nous avons montré dans notre thèse les structures
imaginaires
prévalentes, c'est-à-dire la rétro-action dans un
temps cyclique qui rend si difficile l'anamnèse de ses troubles,
de phénomènes élémentaires qui sont
seulement
pré-signifiants et qui n'atteignent qu'après une
organisation
discursive longue et pénible à établir, à
constituer,
cet univers toujours partiel qu'on appelle un délire11.
Je m'arrête dans ces indications, que nous
aurons à reprendre dans un travail clinique, pour donner un
second
exemple où mettre à l'épreuve notre propos
d'aujourd'hui.
Cet exemple concerne un autre mode
d'interférence
entre le symbolique et le réel, non pas cette fois que le sujet
subisse, mais qu'il agisse. C'est en effet ce mode de réaction
que
l'on désigne dans la technique sous le nom d'acting out sans
toujours bien délimiter son sens ; et nous allons voir que nos
considérations
d'aujourd'hui sont de nature à en renouveler la notion.
L'acting out que nous allons examiner,
pour
être d'aussi peu de conséquence apparemment pour le sujet
que l'hallucination qui vient de nous retenir, peut n'en être pas
moins démonstratif. S'il ne doit pas nous permettre d'aller
aussi
loin, c'est que l'auteur à qui nous l'empruntons n'y montre pas
la puissance d'investigation et la pénétration
divinatoire
de Freud, et que pour en tirer plus d'instruction la matière
nous
manquera bien vite.
Il est en effet rapporté par Ernst Kris,
auteur qui prend pourtant toute son importance de faire partie du
triumvirat
qui a pris en charge de donner au new deal de la psychologie
de
l'ego
son
statut en quelque sorte officiel, et même de passer pour en
être
la tête pensante.
Ce n'est pas pour autant qu'il nous en donne une
formule plus assurée, et les préceptes techniques que cet
exemple passe pour illustrer dans l'article Ego psychology and
interpretation
in psycho analytic therapy12, aboutissent,
dans leur balancement où se distinguent les nostalgies de
l'analyste
de vieille souche, à des notions nègre-blanc dont nous
remettons
l'examen à plus tard, espérant toujours au reste la venue
du benêt qui, calibrant enfin dans sa naïveté cette
infatuation
de l'analyse normalisante, lui assènerait, sans que quiconque
ait
à s'en mêler, le coup définitif.
Considérons en attendant le cas qu'il nous
présente pour la mise en lumière de
l'élégance
avec laquelle il l'a, peut-on dire, dégagé, et ce en
raison
des principes dont son intervention décisive montre
l'application
magistrale entendons par là, l'appel au moi du sujet,
l'abord
"par la surface", la référence à la
réalité,
et tutti quanti.
Voici donc un sujet qu'il a pris en position de
second analyste. Ce sujet est gravement entravé dans sa
profession,
profession intellectuelle dont il semble qu'elle n'est pas très
loin de la nôtre. C'est ce qu'on traduit en nous disant que bien
qu'occupant une position académique respectée, il ne
saurait
avancer à un plus haut rang, faute de pouvoir publier ses
recherches.
L'entrave est la compulsion par laquelle il se sent poussé
à
prendre les idées des autres. Obsession donc du plagiat, voire
du
plagiarisme. Au point où il en est, après avoir recueilli
une amélioration pragmatique de sa première analyse, sa
vie
gravite autour d'un brillant scholar dans le tourment sans
cesse
alimenté d'éviter de lui prendre ses idées. Quoi
qu'il
en soit, un travail est prêt à paraître.
Et un beau jour, le voici qui arrive à la
séance avec un air de triomphe. La preuve est faite : il vient
de
mettre la main sur un livre à la bibliothèque, qui
contient
toutes les idées du sien. On peut dire qu'il ne connaissait pas
le livre, puisqu'il y a jeté un œil il n'y a pas longtemps.
Néanmoins
le voilà plagiaire malgré lui. L'analyste (femme) qui lui
a fait sa première tranche (comme on dit dans notre slang),
avait bien raison quand elle lui disait à peu près "qui a
volé, volera", puisque aussi bien à sa puberté il
chapardait volontiers livres et sucreries.
C'est ici qu'Ernst Kris, de sa science et de son
audace, intervient, non sans conscience de nous les faire mesurer,
sentiment
où nous le laisserons peut-être à mi-chemin. Il
demande
à voir ce livre. Il le lit. Il découvre que rien n'y
justifie
ce que le sujet croit y lire. C'est lui seul qui prête à
l'auteur
d'avoir dit tout ce qu'il veut dire.
Dès lors, nous dit Kris, la question change
de face. Bientôt transpire que l'éminent collègue
s'est
emparé de façon réitérée des
idées
du sujet, les a arrangées à son goût et tout
simplement
démarquées sans en faire mention. Et c'est cela que le
sujet
tremblait de lui prendre, sans y reconnaître son bien.
Une ère de compréhension nouvelle
s'annonce. Si je disais que le grand cœur de Kris en a ouvert les
portes,
sans doute ne recueillerais-je pas son assentiment. Il me dirait, avec
le sérieux proverbialement attribué au pape, qu'il a
suivi
le grand principe d'aborder les problèmes par la surface. Et
pourquoi
ne dirait-on pas aussi qu'il les prend par le dehors, et même
qu'une
pointe de don quichottisme pourrait bien se lire à son insu dans
la façon dont il vient à trancher en matière aussi
délicate que le fait de plagiat ?
Le renversement d'intention dont nous avons
été
aujourd'hui réapprendre la leçon chez Freud, mène
sans doute à quelque chose, mais il n'est pas dit que ce soit
à
l'objectivité. A la vérité, si l'on peut
être
certain que ce ne sera point sans profit qu'on ramènera la belle
âme de sa révolte contre le désordre du monde,
à
la mettre en garde quant à la part qu'elle y prend, l'inverse
n'est
point vrai, et il ne doit point nous suffire que quelqu'un s'accuse de
quelque mauvaise intention pour que nous l'assurions qu'il n'en est
point
coupable.
L'occasion était belle pourtant qu'on
pût
s'apercevoir que, s'il y a un préjugé au moins dont le
psychanalyste
devrait être détaché par la psychanalyse, c'est
celui
de la propriété intellectuelle. Sans doute cela
eût-il
rendu plus aisé à celui que nous suivons ici, de se
retrouver
dans la façon dont son patient l'entendait lui-même.
Et puisqu'on saute la barrière d'une
interdiction,
d'ailleurs plus imaginaire que réelle, pour permettre à
l'analyste
un jugement sur pièces, pourquoi ne pas s'apercevoir que c'est
rester
dans l'abstrait que de ne pas regarder le contenu propre des
idées
ici en litige, car il ne saurait être indifférent.
L'incidence vocationnelle, pour tout dire, de
l'inhibition
n'est peut-être pas à négliger tout à fait,
si toutefois ses effets professionnels paraissent évidemment
plus
importants dans la perspective culturellement spécifiée
du
success.
Car, si j'ai pu remarquer quelque retenue dans
l'exposé
des principes d'interprétation que comporte une psychanalyse
revenue
désormais à l'ego psychology, on ne nous fait
par
contre, dans le commentaire du cas, grâce de rien.
Se réconfortant au passage d'une rencontre
qui lui paraît des plus heureuses avec les formules de
l'honorable
M. Bibring, M. Kris nous expose sa méthode : "Il s'agit de
déterminer
dans une période préparatoire (sic) les patterns
de
comportement, présents et passés, du sujet (cf. p. 24de
l'article).
On notera d'abord ici ses attitudes de critique et d'admiration
à
l'endroit des idées des autres ; puis le rapport de celles-ci
aux
idées propres du patient." Qu'on m'excuse de suivre pas à
pas le texte. Car il faut ici qu'il ne nous laisse aucun doute sur la
pensée
de son auteur. "Une fois à ce point, la comparaison entre la
productivité
du patient lui-même et celle des autres doit être
poursuivie
dans le plus grand détail. A la fin, la déformation
d'imputer
aux autres ses propres idées va pouvoir enfin être
analysée
et le mécanisme "doit et avoir" être rendu conscient."
Un des maîtres regrettés de notre
jeunesse,
dont pourtant nous ne pouvons dire que nous l'ayons suivi dans les
derniers
tournants de sa pensée, avait déjà
désigné
ce que l'on nous décrit ici du nom de "bilanisme". Bien entendu,
il n'est pas à dédaigner de tendre conscient un
symptôme
obsessionnel, mais c'est autre chose encore que de le fabriquer de
toutes
pièces.
Abstraitement posée, cette analyse,
descriptive,
nous précise-t-on, ne me paraît pas pourtant
différenciée
beaucoup de ce qu'on rapporte du mode d'abord qu'aurait suivi la
première
analyste. Car on ne nous fait pas mystère qu'il s'agit de Mme
Melitta
Schmideberg, en citant une phrase extraite d'un commentaire qu'elle
aurait
fait paraître de ce cas : "Un patient qui durant sa
puberté
a volé de temps en temps... a gardé plus tard un certain
penchant au plagiat... Dès lors, puisque pour lui
l'activité
était liée au vol, l'effort scientifique au plagiarisme,
etc."
Nous n'avons pu vérifier si cette phrase
épuise la part prise à l'analyse par l'auteur mis en
cause,
une partie de la littérature analytique étant devenue
malheureusement
très difficile d'accès12.
Mais nous comprenons mieux l'emphase de l'auteur
dont nous tenons le texte, quand il embouche sa conclusion : "Il est
maintenant
possible de comparer les deux types d'approche analytique."
Car, à mesure qu'il a précisé
concrètement en quoi consiste le sien, nous voyons bien ce que
veut
dire cette analyse des patterns de la conduite du sujet, c'est
proprement
d'inscrire cette conduite dans les patterns de l'analyste.
Ce n'est pas qu'on n'y remue rien d'autre. Et nous
voyons se dessiner avec le père et le grand-père une
situation
à trois fort attrayante d'aspect, et ceci d'autant plus que le
premier
semble avoir failli, comme il arrive, à se tenir au niveau du
second,
savant distingué dans sa partie. Ici quelques astuces sur le
grand-père
et le père qui n'était pas grand, auxquelles nous aurions
peut-être préféré quelques indications sur
le
rôle de la mort dans tout ce jeu. Que les grands et les petits
poissons
des parties de pêche avec le père ne symbolisent la
classique
"comparaison" qui dans notre monde mental a pris la place tenue en
d'autres
siècles par d'autres plus galantes, nous n'en doutons pas ! Mais
tout cela, si j'ose dire, ne me paraît pas pris par le bon bout.
Je n'en donnerai pas d'autre preuve que le corps
du délit promis dans mon exemple, c'est-à-dire justement
ce que M. Kris nous produit comme le trophée de sa victoire. Il
se croit arrivé au but ; il en fait part à son patient.
"Il
n'y a que les idées des autres qui sont intéressantes, ce
sont les seules qui soient bonnes à prendre ; s'en emparer est
une
question de savoir s'y prendre" - je traduis ainsi : engineering, parce
que je pense qu'il fait écho au célèbre how to
américain,
mettons, si ce n'est pas ça : question de planification.
"A ce point, nous dit Kris, de mon
interprétation,
j'attendais la réaction de mon patient. Le patient se taisait,
et
la longueur même de ce silence, affirme-t-il, car il mesure ses
effets,
a une signification spéciale. Alors comme saisi d'une
illumination
subite, il profère ces mots : "Tous les midis, quand je me
lève
de la séance, avant le déjeuner, et avant que je ne
retourne
à mon bureau, je vais faire un tour dans telle rue (une rue,
nous explique l'auteur, bien connue pour ses restaurants petits, mais
où
l'on est bien soigné) et je reluque les menus derrière
les
vitres de leur entrée. C'est dans un de ces restaurants que je
trouve
d'habitude mon plat préféré : des cervelles
fraîches."
C'est le mot de la fin de son observation. Mais
l'intérêt très vif que je porte aux cas de
génération
suggérée des souris par les montagnes, vous retiendra,
j'espère,
encore un moment, si je vous prie d'examiner avec moi celle-ci.
Il s'agit en tous points d'un individu de
l'espèce
dite acting out, sans doute de petite taille, mais fort bien
constitué.
Le plaisir seul qu'il semble apporter à son
accoucheur m'étonne. Pense-t-il qu'il s'agisse d'une issue
valable
de cet id 13, que le
suprême
de son art eût réussi à provoquer ?
Qu'assurément l'aveu qu'en fait le sujet
ait toute sa valeur transférentielle, ce n'est pas douteux,
encore
que l'auteur ait pris le parti, délibéré, il le
souligne,
de nous épargner tout détail concernant l'articulation,
et
ici je souligne moi-même, entre les défenses (dont
il vient de nous décrire le démontage) et la
résistance
du patient dans l'analyse.
Mais l'acte lui-même, qu'en comprendre ?
Sinon
y voir proprement une émergence d'une relation orale
primordialement
"retranchée", ce qui explique sans doute le relatif échec
de la première analyse.
Mais qu'elle apparaisse ici sous la forme d'un
acte
totalement incompris du sujet ne nous paraît pour celui-ci
d'aucun
bénéfice, si elle nous montre d'autre part où
aboutit
une analyse des résistances qui consiste à s'attaquer au
monde (aux patterns) du sujet pour le remodeler sur celui de
l'analyste,
au nom de l'analyse des défenses. Je ne doute pas que le patient
ne se trouve, somme toute, fort bien de se mettre là aussi
à
un régime de cervelle fraîche. Il remplira ainsi un pattern
de
plus, celui qu'un grand nombre de théoriciens assignent en
propres
termes au procès de l'analyse à savoir l'introjection du
moi de l'analyste. Il faut espérer, en effet, que là
aussi
c'est de la partie saine qu'ils entendent parler. Et là-dessus
les
idées de M. Kris sur la productivité intellectuelle nous
paraissent garanties conformes pour l'Amérique.
Il semble accessoire de demander comment il va
s'arranger
avec les cervelles fraîches, les cervelles réelles, celles
qu'on fait revenir au beurre noir, y étant recommandé un
épluchage préalable de la pie-mère qui demande
beaucoup
de soin. Ce n'est pas là pourtant une question vaine, car
supposez
que ce soit pour les jeunes garçons qu'il se fût
découvert
le même goût, exigeant de non moindres raffinements, n'y
aurait-il
pas au fond le même malentendu ? Et cet acting out, comme
on dirait, ne serait-il pas tout aussi étranger au sujet ?
Ceci veut dire qu'à aborder la
résistance
du moi dans les défenses du sujet, qu'à poser à
son
monde les questions auxquelles il devrait répondre
lui-même,
on peut s'attirer des réponses fort incongrues, et dont la
valeur
de réalité, au titre des pulsions du sujet, n'est pas
celle
qui se fait reconnaître dans les symptômes. C'est ce qui
nous
permet de mieux comprendre l'examen fait par M. Hyppolite des
thèses
apportées par Freud dans la Verneinung.
____________________________________